Chargé comme une mule sous la pluie battante

Pour une première sortie hors des terres du Clan reclus où il avait grandit, Grishka avait de quoi être dépaysé. C'était déjà le troisième train qu'il prenait en moins de quarante-huit heures, et à la file. Tout le long de l'itinéraire, il avait déjà vu beaucoup de changements. De climat, d'une part, étant passé de ses steppes natales, froides et sèches, à des zones plus chaudes en cette saison pré-automnale, et maintenant il se retrouvait au beau milieu d'un climat océanique. Depuis deux heures que la pluie battait incessament sur les fenêtres, produisant un bruit assez inhabituel mais assez grisant pour tout dire, peut-être par simple manque d'habitude. Les paysages aussi avaient changés. Grishka avait déjà entendu parler de ce genre de paysage, mais il n'aurait pas pu imaginer voir autant de vallées verdoyantes, sous la bonne pluie fertilisante et sous le ciel gris perle. Les champs, l'herbe et les arbres se balançaient sous un vent humide et chaud (enfin question de point de vue).L'horizon n'était pas droit comme à l'accoutumée, sauf quand la mer s'offrait au regarddu novice ès voyages.
D'un train à l'autre, bien sûr, les autres passagers et leurs langues avaient changés également. On ne traverse pas l'Europe et un bout d'Asie sans changer de camarades de wagons.
Dans ce train jaune, les passagers avaient tous son âge ou quelques années de plus, du moins ils étaient tous dans leur période d'adolescence. Il échangea quelques mots avec certains, mais ne s'impliqua pas trop dans les conversations, d'une part parce qu'il avait encore un peu de mal à former des phrases correctes en Français, d'autre part il était déjà absorbé par l'observation appliquée du paysage, ayant laissé le livre qu'il comptait lire sur ses genoux. Il était fatigué par le long voyage mais ne voulait pas dormir. Trop de choses à voir, à contempler, trop de sons à boire, et s'il ne profita pas du chariot-nourriture pour faire tester un peu le dépaysement à ses papilles, c'est qu'il avait un budget très limité. Et puis, les esclaves ne grignottent pas entre les repas, et même s'il n'avait pas eu vraiment de quoi se sustenter depuis deux jours, la faim ne lui rendrait sans doutes que meilleur le dîner du soir.
Il était arrivé sans même vraiment s'en rendre compte dans un état entre la transe et la somnolence, en regardant sans faire vraiment attention le paysage défiler. On peut difficilement, après tout, se targuer de tenir en pleine forme et pétant le feu avec un estomac vide et un cerveau qui ne demande qu'à fermer le hublot, les écoutilles et aller dans sa couchette.
Néanmoins il n'eut pas le temps de s'endormir sur place. Le train s'arrêta, peut-être pas d'un coup, mais le pauvre garçon se trouva un peu secoué tout de même. Il eut d'un coup l'impression justifiée d'être ramener brutalement sur terre. Tout le monde se levait autour, il en fit donc autant.
Il descendit sur les quais, armé de deux valises, de deux sacs à bandoulières, et d'un sac type randonneur. Le tout devait presque dépasser le poids du nouvel élève, d'autant plus qu'une de ses côtes le fit souffrir tandis qu'il se chargeait de ses fardeaux.
Ce n'était même pas des affaires importantes. Son départ avait servit à la moitié du village d'excuse pour se débarrasser d'appareils et d'ustensiles, de décorations et d'objets divers avec un rapport utilité-encombrement assez lamentable. Du matériel culinaire ("tu ne va quand même pas donner du travail supplémentaire à ses gens") aux objets d'arts douteux ("Pour que tu puisse te rendre ton coin de chambre plus personnel"), aux objets du culte local ("c'est pas parce que tu es hors de ses terres qu'il faut oublier notre divinité, espèce d'hérétique") et divers autres "souvenirs". En prime les "embrassades" d'adieux lui avaient laissé divers bleus, un oeil au beurre noir et une douleur ponctuelle à une de ses côte du côté gauche. Il esperait qu'elle n'était pas cassée. Il avait gardé de très mauvais souvenir de fractures, d'autant qu'il n'avait pas de congés.
A peine eu-t-il posé un pied Christophecolombien sur le quai qu'il sentit une vague humide et froide contre ses pieds. Il fallait se rendre à l'évidence : ses chaussures n'étaient pas imperméable, sauf à l'air. Il ne savait guère par où aller, mais pas besoin de se presser : il lui avait suffit de trentes secondes pour être humide jusqu'aux os, les cheveux dégoulinants et le reste aussi. Il dû prendre deux secondes une des valises entre ses dents pour tenter de plaquer ses cheveux en arrière, sa mèche blanche étant venue boucher une partie de la vue à ses yeux d'or 26 carats.

Krindy était revenue depuis peu à Farfélis et avait juste pris le temps de re-faire son installation. Les élèves commençaient seulement à affluer, alors elle n'était pas pressée et ne se sentait de toute évidence pas stressée le moins du monde: ses cours commenceraient quand il y aurait suffisamment de petites têtes blondes à torturer dans les environs de l'école. Pour l'instant, elle peaufinait ses derniers supplices.
Mais bon, Krindy n'était pas non plus le genre de personne à aimer se tourner tranquillement les pouces en regardant les autres s'affairer (enfin, disons que ça dépendait des moments). Elle avait bien remarqué que certains de ses collègues se trouvaient particulièrement débordés. En particulier chez les nouveaux, qui étaient, il fallait bien le dire, nombreux cette année.
Alors plutôt que de tourner en rond entre les élèves excités par la reprise et les professeurs angoissés par leurs nouvelles fonctions, Krindy avait choisi de prendre un peu l'air en s'éloignant pour une partie de la journée de l'école.
Et puisqu'elle pouvait rendre service... une fois n'est pas coutume! Elle avait accepté d'alléger un peu la tâche des autres membres du personnel en allant voir si tout se passait bien du côté de la gare.
Surveiller, c'était une tâche qui lui allait comme un gant.
Lorsqu'elle arriva, Krindy s'adossa contre un pilier de la gare et se mit à observer les gens qui évoluaient autour d'elle. A chaque arrivée en gare d'un nouveau train, elle se tordait le cou pour vérifier que tout se passait pour le mieux. Et voilà que venait d'en arriver un. Une vague humaine en descendit puis s'éloigna lentement. Resta sur le quai une espèce de tas de bagages ambulant qui attira son attention.
Elle s'en approcha d'un bon pas et découvrit un jeune garçon comment dire... sans doute aussi cabossé que ses valises. Krindy leva un sourcil et se plaça face à lui.

"Alors, jeune homme? Est-ce qu'on s'en sort?"

Bien sûr elle devinait d'avance la réponse et déchargea le garçon de l'un de ses sacs.

*En espérant qu'il ne morde pas*

[HS : Raaaaaaah Merci \o/ Je ne te demanderais pas en mariage mais le coeur y est~]

Alors que Grishka sonnait le tocsin intérieur afin de réunir toutes les forces vives de son corps meurtri afin de lutter contre l'adversité coupable, la fatigue, la douleur, la famine et la loi de l'apesanteur (qui est dure, mais c'est la loi), on lui coupa l'herbe sous le contre-pied.
Il détacha ses yeux du rien pour se mettre au courant de se qui lui arrivais, afin de réagir en connaissance de cause, de préférence de façon à ne pas se mettre quelqu'un à dos dès l'arrivée. Il posa donc ses grands yeux jaunes (cernés du délicat violet-bleu hématome) sur la personne qui se présentait devant lui.
Manifestement ce n'était pas une élève. Ou alors une multi-redoublante, ou alors l'école poursuivait les études jusqu'à l'obtention de l'omniscience. Ces deux dernières hypothèses lui semblant peu vraissemblables à première vue, et qu'a deuxième vue ce sentiment ne s'estompait guère, il la classa dans le personnel.
Il évita soigneusement de la regarder directement dans les yeux, parce qu'il savait que ça pouvait énerver les êtres supérieurs, et elle devait en être. D'ailleurs on est rarement inférieur au rang d'esclave.
Il s'inclina profondément pour les même raison. Après tout, peut-être que c'était une noble ou quelque chose comme ça, auquel cas le respect était nécéssaire pour ne pas se prendre d'autres coups. En s'executant, il sentit encore les protestations le sa côte, et tacha de sourire. Nerveusement malgré tout.

- Ah, Bonjour, je suis honoré

Il fit de son mieux pour éviter d'avoir trop d'accent. S'il n'était pas compréhensible, les gens risquaient de s'énerver, ce qui était à éviter à tous les prix.
Il se redressa, souffrit encore, mais il fallait bien faire avec.
La femme lui prit une valise. Omg. Chose incompréhensible en soit. LEs inférieurs portent les valises, d'habitude, non ?

- Oh euh, Merci, je... prefère porter moi-même. Euh... Maîtres donner à moi, alors...

Il était assez mal à l'aise. Maquiller un accent n'était pas le plus dur, encore aurait-il fallut qu'il réussisse à faire des phrases impeccables. Peut-être allait-on le prendre pour un imbécile, et alors il ferait honte au blason familial. Il ne fallait pas que ça arrive.

La réaction du garçon était pour le moins inattendue et il faut avouer qu'elle parvint à déstabiliser Krindy. Cette dernière avait plutôt pris l'habitude des adolescents rebelles et fougueux, et c'était plus ou moins à cela qu'elle s'attendait avec celui-ci. Mais on aurait bien dit qu'il s'agissait d'une espèce à part...
Krindy haussa les épaules et faillit relâcher négligemment le sac, se reprenant au dernier moment pour le poser un peu plus délicatement sur le sol, à côté de son propriétaire. Il ne fallait pas exagérer non plus, elle avait un rôle à tenir.

"Comme tu voudras, garçon"

Cette bonne vieille professeur ne savait guère quel comportement adopter face à un élèves, un être humain libre lui-semblait-il, qui évoquaient certains "maîtres". D'où venait-il, ce petit? Pourrait-elle le persuader qu'elle aussi est son maître, afin de se débarrasser disons de quelques petites tâches ennuyantes du quotidien. En secouant la tête, Krindy se débarassa bien vite de cette dernière pensée, un petit sourire aux lèvres cependant en imaginant la tête de Morganna.
Afin de briser une certaine gêne qui, lui semblait-il, commençait gentiment à s'installer, Krindy se présenta.

"Je m'appelle Krindy Azabhaal, j'enseigne la défense contre les forces du mal à Farfélis. Je suis l'un de tes professeurs pour faire simple. Et toi, tu es..?"

Elle marqua un temps d'arrêt et reprit vite.

"Hum... tu es sûr que tu préfères te débrouiller seul? Enfin... c'est tout à ton honneur mais bon, tu n'es pas obligé, hein!"

Le jeune homme regarda cette grande femme avec un peu d'inquiétude. Il esperait ne pas l'avoir mise mal à l'aise son propos. Peut-être y avait-il des règles de politesses spéciales dans la zone géographique ? Peut-être qu'elle considérait le refus de son secours comme un affront ? Damned. Il cru donc bon de se justifier.
- Je pense que si Pap...

Il se mordit violemment la langue pour ravaler la bêtise qu'il allait dire. Si le "maître" était là, il lui aurait d'ailleurs déjà foutu une bonne beigne. Alors rattrapons. Rembobinage.

- Si son Excellence m'a donné ces quelques objets, c'est pour que je les porte, non ?

Il récupéra sa lourde valise. Décidément cette côte le taraudait, mais ne montrons pas de faiblesse qui puisse servir de but à un coup de pied. Youpliyoupla il n'y a rien du tout de dérangeant. LE tout était uniquement de s'en convaincre, et ça passerait sans doutes.
Alors la femme se présenta, et Grishka se rendit compte qu'il avait fait quelque chose d'horriblement grossier. En effet, sans doute aurait-ce été la première chose à faire. Se dépêchant de rattraper cette épouvantable faute en s'inclinant une fois de plus, assez brutalement pour que trois de ses valises ne heurtent lourdement le sol.

- Aaaaaaah, désolé de n'avoir pas présenté décemment. Je m'appelle Grishka Babockov, je euh... A votre service.

Il se hâta de ramasser ses fardeaux. Il avait lamentablement échoué à paraître en scène de façon acceptable. Il faudrait parvenir à arranger cela au plus vite s'il ne voulait pas devoir porter la honte au pays. Déjà que son statut d'esclave le mettait au niveau du dessous, il ne voulait pas trop s'enfoncer.
Et la professeur insistait sur l'aide.
Non pas que Grishka n'aurait pas préféré avoir moins de poids à porter, mais il n'allait pas reléguer ce genre de tâche à quelqu'un de libre. Les gens n'avaient pas à se rabaisser à son niveau, non plus.

- Non merci, ça ira. C'est rare qu'on me donne les choses, alors il faut honorer bien les dons en m'en occupant moi-même, je pense. Et puis ce n'est pas grave, j'ai déjà porté plus lourd

Il essaya un sourire un peu nerveux. Il venait juste d'arriver, et déjà pour quoi allait-on le prendre ? D: Il regrettait de ne pas bien connaître les habitudes de cet endroit, après tout, peut-être faisait-il l'exact inverse de ce qu'il fallait ?

Krindy écouta le discours du garçon avec attention car ce n'était pas tout les jours qu'elle entendait parler un élève de cette façon. Son Excellence? Il avait bien dit So Excellence? De qui Diable parlait-il encore? Krindy regretta de ne pas s'être renseigné sur les nouveaux arrivants avant d'aller les accueillir et de se risquer à tomber sur de beaux énergumènes. Mais elle connaissait aussi le respect de la vie privée et se passerait (ou se retiendrait tant bien que mal!) de fouiller l'air de rien dans les papiers administratifs de la directrice ainsi que de poser des questions... pour l'instant! Car avec ce qu'elle voyait pour l'instant du caractère de Grishka, il y avait des chance que ce dernier doive faire face à quelques ennuis une fois à Farfélis, principalement avec ses petits camarades. Krindy le savait, les jeunes n'étaient pas tendre entre eux... Enfin, bref! Il fallait avancé un peu. Maintenant que les présentations étaient faites, quel était son rôle..?

"D'accord Grishka, dans ce cas je te propose de prendre au plus vite possession d'une chambre afin d'y ranger tes précieux biens. Histoire de ne pas avoir à les porter trop longtemps non plus. Je vais t'accompagner jusqu'à l'école"

Cette fois-ci, Krindy espérait que Grishka ne voie pas d'objection majeure à cette aide. Où alors elle risquait de commencer à déprimer pour ne rien comprendre à ce garçon.
Puis lui faisant signe de la suivre (et s'efforçant de ne pas regarder ce petit être fragile croulant misérablement sous un tas de lourds bagages), elle testa pour la première fois les questions toutes faites qu'elle avait mis la nuit passée entière à préparer et qu'elle pensait être de bonnes idées pour un accueil en règles.

"Le voyage s'est bien passé? Pas trop long? Confortable? Heu... Tu viens de loin? Tu... vas bien au fait?"

On sentait très bien que tout cela ne venait pas tout à fait naturellement, mais Krindy se donnait du mal, et c'était déjà pas mal trouvait-elle!

Grishka continuait d'observer sa nouvelle supérieure, définitivement inquiet. Sa façon de procéder face à cette femme était-elle correcte ? La professeure semblait déboussolée. Il faudrait un manuel pour ce genre de chose.
Il fut néanmoins un peu soulagé quand elle lui parla de chambre. Sa première prestation n'allait plus tarder à se finir, il pourrait se reposer un peu, sans avoir trop à s'inquiéter de ses actions.
Foutaises. Il s'en inquièterait encore de toutes façons. Il n'était pas tellement du type à ne plus penser à ces soucis d'adaptations tant qu'ils ne seront pas réglés. Restait à espérer que ça ne dure pas de trop.

- Ah euh, oui d'accord, Merci

Il la gratifia d'un sourire, encore un peu fébrile. Il la suivit assez docilement, à une vitesse considérablement plus faible qu'il ne l'aurait voulu, mais il n'était pas vraiment dans les conditions optimales pour marcher à un rythme soutenu.
Sa guide commença à l'interroger. Sans trop savoir si c'était des questions de routine ou si elle se souciait réellement des réponses. Il était cependant assez malséant de garder le silence, même s'il serait désagréable que ce qu'il dise soit retenu contre lui ~~le jour du procès~~.

- Ah,... Da, je vais bien,... Je pense.

Entre la fatigue, le décalage horaire, la faim et sa côte qui le taraudaient graduellement depuis deux jours de voyage, la conception d "aller bien" devait être un peu arrangée, comme celle de "voyage confortable". Néanmoins il était vivant et sans handicap majeur, donc sans doute n'avait-il pas de raison de se plaindre.

- Hmph, C'est à dire que c'est la première fois que je sors des terres de son Excellence. C'est assez loin, mais je ne sais pas vraiment la distance ? En tout cas, les paysages étaient assez variés sur la route.

Il tentait de parler pour rattraper un peu ses éventuelles maladresses. Il ne voulait pas déranger avec des questions, mais peut-être qur se taire lui donnait l'air trop indifférent ?